Marcel Thomas, un personnage hors du commun

Un homme, Marcel Thomas, autodidacte et photographe amateur, n’a cessé pendant plus d’un demi-siècle, avec la candeur et la volonté de saisir les célébrités grâce à son appareil photographique, la magique poursuite.

Né le 27 février 1909 à Fresnois-la-Montagne (Meurthe-et-Moselle), Marcel Thomas fut ouvrier à l’usine sidérurgique de Longwy, avant sa mobilisation en 1939. De sa captivité en Allemagne, il rapporta un fidèle compagnon, un Zeiss Super Ikonta (boîtier de format 6×9) doté d’une optique de qualité, et auquel il demandera sans relâche d’être à ses côtés pendant plus de cinquante ans.

On peut supposer que sa passion pour les stars naquit en 1947 alors qu’il était contrôleur de cinéma à La Scala (salle d’exclusivités sur les grands boulevards). Ses premiers clichés datent de 1949, pris au cours de la Kermesse aux Etoiles qui se tenait dans les jardins des Tuileries, à Paris, au mois de juin. C’est à cette occasion que le jeune Marcel assouvit sa passion naissante pour fixer les grands de ce monde sur la pellicule.

Mais comment approcher ces êtres dits « inaccessibles » ?

Marcel Thomas, recyclé après guerre dans la confection, consacre tous ses moments de liberté pour traquer ses idoles. Avec une bonhomie désarmante, il obtient des grooms, voituriers et personnels des grands hôtels parisiens – car notre photographe n’officie que dans la capitale – la rencontre miracle avec les artistes du moment.

Inoubliables rencontres ! Sans fard et sans apprêts, voici Claude François, vedette en herbe et Franck Sinatra au sommet de sa carrière, Elvire Popesco devant le Cirque d’hiver et Sacha Guitry place du Tertre. On découvre Edith Piaf dans la loge de Pierre Brasseur et de Suzanne Flon, Marlène Dietrich et Jean Marais à la Kermesse aux Etoiles, et enfin Jean Gabin entouré de Bourvil et de Georges Brassens lors d’un gala… Marcel Thomas nous met aussi nez-à-nez avec le couple mythique de Lauren Bacall et Humphrey Bogart comme s’ils nous attendaient au coin de la rue… Sa démarche est celle d’un amoureux, d’un chasseur d’étoiles, et sa candeur lui vaut tous les succès auprès des vedettes. Elles se laissent photographier par celui qui prétend prendre des photos pour enrichir son album personnel. Il était souvent entouré d’amis fidèles, chasseurs d’autographes.

Audacieux, il osera héler la jeune reine Elizabeth d’Angleterre afin de la surprendre dans un bon cadrage. Il ira même jusqu’à prier John Wayne de reprendre la pose car son flash n’a pas fonctionné. Et les grands de sourire…

L’intrépide photographe parvient même à s’introduire sur le lieu de tournage, rue des Envierges, de « Casque d’or », et il se lie d’amitié avec Simone Signoret. Il saisira également Audrey Hepburn et Cary Grant tournant dans « Charade », ainsi que Marlon Brando et Montgomery Clift dans « Le Bal des Maudits ». Il avouera à la fin de sa vie n’avoir eu qu’un regret : celui de n’avoir jamais pu capter dans sa boîte de rêve ni Marilyn Monroe ni James Dean, qui ne vinrent jamais à Paris.

Mais pour que ce doux dingue sorte de l’anonymat, il fallut un hasard heureux. C’est ici que j’entre en scène. Passionné de cirque comme lui, je fis, en 1982, sa connaissance au cirque Pauwels précisément. Nous nous sommes souvent retrouvés dans cet univers porteur de rêves. La sympathie nous rapprocha. Un jour, j’évoquai ma passion pour Maria Callas, ainsi que pour Carmen Amaya, géniale danseuse de flamenco. Marcel m’invita à venir chez lui examiner les photos qu’il avait prises de ces deux êtres d’exception.

A la vue de l’incroyable trésor amassé par celui qui allait devenir mon ami, j’ai été saisi d’un véritable coup de foudre. Travaillant depuis toujours dans l’édition et ayant déjà publié quelques ouvrages, je propose au fan des vedettes de sortir de l’ombre ses photos pour les faire connaître au grand public. C’est ainsi que je conçus et réalisai chez plusieurs éditeurs des livres de photos de Marcel Thomas, ce qui lui valut de participer à maintes émissions de radio et de télévision. Fort du succès remporté, j’organisai des expositions et j’eus ainsi le plaisir de voir l’intérêt suscité par ce photographe peu ordinaire. Touché par l’admiration sans bornes que je lui témoignai, Marcel m’a légué tout son fonds d’art photographique, sachant que j’étais son plus ardent défenseur.

En 2006, je créai l’Association Photostars afin de mieux diffuser et préserver l’œuvre du photographe.

Jamais Marcel Thomas n’a eu, un seul instant, une préoccupation mercantile à propos de ses photos. Toute sa vie – il nous a quittés, le 19 août 2000, à l’âge de quatre-vingt-onze ans –, il n’a eu de cesse de fixer sur la pellicule les personnes les plus prestigieuses qu’il a su approcher dans un total désintéressement.

Tous ces portraits font ressurgir des pans entiers de l’histoire artistique mondiale pour le plaisir de ceux qui n’ont pas oublié tous ces visages, ces silhouettes amies, ces personnages qui vibrent dans nos mémoires. Et qui viennent encore raviver notre souvenir avec émotion et

tendresse.

Gérard Gagnepain

avec l’amicale collaboration de Geneviève Pons

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